Idealiter - Idéalisme et ludisme dans la littérature antique
Organisation : Anne de Crémoux et Claudio Majolino
La journée est une brique du projet LAI « Idealiter. Pour une histoire, préhistoire et contre-histoire de l’idéalisme » (https://www.idealiter-lai.com/), qui associe les universités La Sapienza (Rome) et Lille, où ce projet est piloté Claudio Majolino. Dans le cadre de ce projet sont en effet prévues des manifestations consacrées à la littérature antique – cette journée et un séminaire de travail interne au laboratoire. Elles ont pour objet de mettre à l’épreuve des textes littéraires grecs de l’Antiquité le débat sur la possibilité ou non de parler d’idéalisme, et dans quel sens, pour la Grèce antique. Nous partons en cela d’une définition large de l’idéalisme. L'idéalisme peut être défini de manière large comme la doctrine « métaphysique » selon laquelle « quelque chose de mental » constitue « le fondement ultime de toute réalité, voire épuise la réalité » (Guyer-Horstmann 2021) ou, alternativement, comme la vision accordant une priorité au « mental (...) sur le non-mental » (DeVries 2009, p. 211). Les variantes de cette définition très englobante s'appliquent non seulement à l'« immatérialisme » paradigmatique de Berkeley (où seules existent les idées et les esprits), mais aussi à toute tentative de « nier l'existence d'une réalité indépendante de l'esprit », ou de soutenir « qu'il ne peut y avoir d'objets physiques en dehors de toute expérience » (qu'elle soit humaine ou divine) (voir Ewing 1934, p. 3). L'idéalisme philosophique est généralement défendu de deux manières : « ontologiquement » ou « épistémologiquement ». Les arguments ontologiques procèdent en « identifiant certaines contraintes générales sur l'existence » et concluent que « seuls les esprits d'une certaine sorte satisfont à ces conditions ». Les arguments épistémologiques, quant à eux, opèrent en identifiant certaines conditions pour la connaissance » et soutiennent que « seuls les objets qui sont d'une certaine manière ‘mentaux’ peuvent satisfaire aux conditions pour être connus ». Plus précisément, les arguments épistémologiques postulent qu'« il existe un isomorphisme nécessaire entre la connaissance et son objet, qui ne peut exister que si l'objet de la connaissance est lui-même mental » (Guyer-Horstman, 2021). A ces thèses philosophiques correspondent une série de variantes poétiques ou littéraires. Une première variante littéraire consiste à dire que le monde dans son ensemble est un rêve ou une illusion ou que, dans son essence, la réalité n’est que représentation, humaine ou divine.
Husserl, dans ses leçons d'histoire de la philosophie, avance la thèse selon laquelle, pour les Grecs, une telle affirmation n’aurait aucun sens (Hua-Mat IX, p. 18-30). Un Grec ne soutiendrait la non-existence du monde (ou son caractère illusoire/subjectif) que par plaisanterie, sans sérieux. L’exemple qu’il donne est celui de Gorgias, qui affirme que « rien n’existe, et si quelque chose existait, il serait inconnaissable » mais qui n'est qu'une simple provocation pour ridiculiser les Éléates. Une telle interprétation, et l’idée que l’idéalisme serait une invention moderne, non pertinente pour des Grecs qui auraient une conception uniquement réaliste du monde, a fait l’objet d’un débat – voir par exemple pour une idée de ce débat l’article de Burnyeat (1982) et la réponse par Delcomminette (2024). Un angle de dépassement possible serait que, même s’il y avait un blocage épistémique dans les textes philosophiques grecs à une notion d’idéalisme, des voies traverses existeraient dans la comédie, la sophistique, ou autres formes non sérieuses et ludiques qui s’amusent à mettre en question la réalité du monde. L’objet de la journée est d’explorer ces pistes en étudiant des textes grecs antiques sous les deux volets indiqués ci-dessus :
- d’un point de vue philosophique, peut-on trouver des contre-arguments à la thèse selon laquelle un Grec ne saurait soutenir la non-existence du monde ?
- dans des contextes non sérieux, non épistémiques, comme la littérature comique ou le jeu artistique en général, peut-on trouver l’idée que le monde est une construction subjective et une apparence ?