Fonds Lejbowicz
Le fonds d’astronomie Max Lejbowicz à la bibliothèque Savoirs, Textes, Langage
À l’occasion des Journées du Patrimoine 2024, nous vous proposons de découvrir le fonds Max Lejbowicz, un ensemble de près de 1800 livres, principalement consacrés à l’histoire de l’astronomie, qui a rejoint la bibliothèque du laboratoire Savoirs, Textes, Langage en 2021. Ces livres proviennent de la bibliothèque personnelle de Max Lejbowicz (1941-2015), historien médiéviste qui a mené ses recherches en marge de la carrière universitaire classique, chercheur associé à STL, docteur à l’Université de Lille III en 2002.
Jean Celeyrette, ancien professeur et président de l’Université de Lille III, ancien directeur du laboratoire, directeur de thèse et grand ami de Max Lejbowicz, ainsi que Caroline Taillez, bibliothécaire du laboratoire, nous racontent l’histoire de ce fonds, depuis sa constitution jusqu’à son indexation, en passant par son déménagement. Cette exposition numérique est aussi l’occasion de présenter quelques documents remarquables issus du fonds Max Lejbowicz.
Vingt mille livres
« J'ai encore l'image de l'appartement de Max : c’était quelque chose d’inimaginable. Il possédait approximativement vingt mille livres, ou plutôt vingt-deux mille, mais à ce niveau-là… Il achetait les livres de façon systématique et avait ainsi réuni toutes sortes de documents, de mémoires, de tirés à part, et cetera. Mettre vingt mille livres, dans un appartement parisien modeste, à la Porte de Bagnolet à Paris était un sacré défi. Il y en avait du sol au plafond, partout, absolument partout ! Bien sûr, il n'était pas possible de les classer, il n'y avait aucun ordre dans cette bibliothèque. Mais ses vingt mille livres, Max les avait lus et retenus. Il avait une mémoire remarquable et savait où les chercher. Si bien que lorsqu’il avait un article à faire ou une communication à préparer, il rassemblait tous ceux qui pouvaient l'intéresser. Puis, lorsque son centre d’intérêt avait changé, il les déplaçait ailleurs, et cetera. »
Jean Celeyrette
« Un fanatique de livres »
« C'était un caractère particulier, et il avait un rapport très spécial au livre. Il avait été aide-bibliothécaire à Paris I, mais je ne sais pas dans quelles conditions il y avait été nommé. Et c'est là où il s'était initié au Moyen-Âge en lisant ce qui lui tombait sous la main. Il était capable de passer des nuits à lire et son travail était d'une précision absolument exceptionnelle. De ce fait il était impitoyable dans ses critiques de livres, absolument impitoyable. Une erreur de référence était pour lui un scandale et quand il en dépistait une il écrivait aussitôt à l’auteur pour le lui dire. Il avait un côté fanatique et c’est certains livres l’indignaient véritablement, il était atteint dans son être : on n'avait pas le droit de laisser passer, fût-ce très involontairement, des erreurs factuelles ou des bêtises. D’ailleurs, les nombreuses annotations qu’on trouve dans ses livres sont surtout des corrections d’erreurs assorties de commentaires souvent pittoresques . »
Jean Celeyrette
De la Porte de Bagnolet à Pont-de-Bois
« Après le décès de Max, Nathalie son épouse était absolument submergée et ne savait pas quoi faire de ce monceau de livres. Elle ne voulait pas les donner ou les vendre à un bouquiniste, c’était une sorte de devoir à l'égard de son mari. Elle m’en a parlé et m’a demandé ce qu’elle pouvait en faire, et je lui ai promis de m’en occuper. J’ai contacté les responsables de l’Université de Lille que je connaissais : « Il y a une bibliothèque de vingt mille bouquins, il ne faut pas la laisser perdre ! » Il a fallu un certain temps, car on n'organise pas un déménagement de ce type du jour au lendemain. J'ai fait plusieurs voyages à l’appartement de Max et commencé à trier, en faisant des regroupements. On a mis à ma disposition du personnel et un camion et nous sommes allés vider l’appartement. Cela a pris la journée, à plusieurs, mais tout a été rapporté. »
Jean Celeyrette
Des sous-sols de la BU à la bibliothèque STL
« En 2016, après le décès de Max Lejbowicz, le laboratoire a entrepris de sauver sa bibliothèque, des milliers d’ouvrages qu’il a fallu déménager de Paris à Lille. Il y avait environ deux-cent vingt cartons, que l’on a entreposés dans les sous-sols de la BU, en attendant de les trier et de les informatiser. En 2021, il a fallu débarrasser en urgence, avant que la BU ne ferme à cause des travaux de rénovation. Je me suis occupée de tout trier, de tout déplacer d’un bout à l’autre de Pont-de-Bois. Je crois que le pire, c’était la quantité de poussière en plus du masque, parce qu’on était en plein covid – au moins, comme ça, il n’y avait personne dans les couloirs pour passer avec les chariots. Les documents qui étaient en mauvais état, ou les photocopies par exemple, n’ont pas été traités. Pour ceux qui n’avaient pas de rapport avec les domaines du laboratoire, on les a cédés aux autres bibliothèques du campus, à la BSA, en Histoire, en Études romanes même, parce qu’il y avait des documents en hébreux. Pour les doublons qui étaient déjà dans notre bibliothèque, on les a mis en don pour les doctorants et les chercheurs. On a aussi fait des dons à des associations. Après quelques mois de travail, on a inclus pas loin de mille huit-cents ouvrages au fonds de la bibliothèque du laboratoire, inventoriés, côtés, informatisés. »
Caroline Taillez
Des sources polyglottes
1. Al-Abū Al-Bīrūnī, Al-Qānūnu’l-Mas’ūdī, édité par le Bureau from the oldest extant Mss., Osmania Oriental Publications Bureau, 1955
Cette édition indienne est la première transcription de l’un des textes les plus importants de l’histoire des sciences, rédigé par l’érudit persan Al-Bīrūnī (973-1052). Cette encyclopédie, connue sous le nom de Canon, rassemble les savoirs astronomiques depuis l’Antiquité, tout en présentant de nouvelles théories fondées sur les mathématiques. Cette édition en arabe reproduit les nombreux schémas et tables inclus dans les manuscrits du XIe siècle.
2. Pietro d’Abano, Conciliator, édité par Ezio Riondato et Luigi Oliveri, Editrice Antenore, Padoue, 1985
Ce livre contient le grand texte de Pietro d’Abano (1250-1316) intitulé Conciliator differentiarum philosophorum et medicorum, où il propose une synthèse des théories médicales de l’Antiquité. Il s’agit d’un fac-similé d’une édition vénitienne de 1565, qui en reproduit fidèlement la mise en page, les ornements gravés, les index détaillés. Max Lejbowicz était un excellent latiniste : une feuille volante est recouverte au recto et au verso de ses notes de lectures de ce texte en latin.
3. Enrique de Villena, Tratado de Astrologia, édité par Pedro Catedra, Río tinto minera, Madrid, 1980
Cette édition retranscrit le texte espagnol et reproduit les schémas du Traité d’astrologie d’Enrique de Villena (1384-1434), surnommé « l’Astrologue », érudit dans plusieurs sciences et traducteur de plusieurs langues. Ce texte relève davantage d’une vision magique que de théories proprement scientifiques de l’astronomie : sa présence dans la bibliothèque de Max Lejbowicz montre un intérêt pour toutes les approches du savoir.
De l’histoire des sciences
4. Pierre Simon Laplace, Exposition du système du monde, Librairie Bachelier, Paris, 1824
Ce livre est l’un des plus anciens du fonds Max Lejbowicz, publié en 1824, cinquième édition de l’Exposition du système du monde du Marquis de Laplace (1749-1827). Il s’agit d’une somme des découvertes scientifiques du siècle des Lumières, notamment dans les domaines de la mécanique et de l’astronomie. En première page, une annotation de Max Lejbowicz montre son exigence : « La ponctuation est très défectueuse ». Mais l’exemplaire montre aussi son soin bibliographique : entre les pages épaisses tachetées, un ensemble de feuillets en papier de Docelles, dactylographiés à l’encre violette, vise à remplacer quelques pages manquantes.
Du texte et des images
5. Le Grant kalendrier et compost des bergiers avecq leur astrologie, Éditions Siloé, Paris, 1976
Ce livre est un fac-similé d’un incunable imprimé en 1480, qui comporte un calendrier des mois, mettant en regard une gravure sur bois et une multitude d’informations (poème, phase lunaire, saints fêtés). Max Lejbowicz, qui avait dans sa bibliothèque un autre ouvrage sur ce sujet (voir le document 8), a corrigé une erreur dans l’édition, qui a interverti les bois gravés de novembre et de décembre. Il a également ajouté des références bibliographiques sur chaque page.
6. Anthony John Turner, Time. Catalogue de l’exposition de La Haye, Tijd voor Tijd Foundation, Amsterdam, 1990
Ce catalogue de l’exposition Time, qui s’est tenue à La Haye en 1980, associe des études sur le sujet de la mesure du temps à des photographies des objets exposés. La présence de ce livre dans la bibliothèque de Max Lejbowicz montre son intérêt non seulement pour les traités et les études, mais aussi pour leur application sous forme d’objet dans le domaine de la mécanique.
7. Alexis Drahos, L’astronomie dans l’art de la Renaissance à nos jours, Citadelles & Mazenod, Paris, 2014
Autre preuve de l’intérêt de Max Lejbowciz pour toutes les facettes de l’astronomie, ce livre d’art rassemble un grand nombre de productions graphiques de toutes sortes, depuis la Renaissance jusqu’à la période contemporaine, qui prennent pour sujet le cosmos ou même la science astronomique.
Des livres-objets
8. Georges Bonnebas et Françoise Garnot, L’An mil: un manuscrit et un calendrier agricole au temps de Fulbert, Centre départemental de documentation pédagogique d’Eure-et-Loir, Chartres, 1986
Dans le fonds Max Lejbowicz, certains livres comportent des objets. C’est le cas de cet ouvrage consacré à un calendrier du XIe siècle (voir le document 5). Ce document a une visée pédagogique : une série d’activités repose sur un ensemble de diapositives permettant de projeter les gravures sur bois. Le livre montre encore une fois l’exigence bibliographique de Max Lejbowicz, qui a annoté la présentation générale en précisant par exemple les numéros de pages correspondant.
9. Marcello Felli, L’Astrolabio di Galileo, Instituto e Museo di Storia della Scienzia di Firenze, Florence, 1983
Aure livre-objet, cet ouvrage est consacré à l’astrolabe imaginé et confectionné par Galilée. La page de titre est annotée par Max Lejbowicz sous la forme d’une petit bibliographie additionnelle : son goût pour toutes les formes de productions de l’esprit est confirmé par la présence de la pièce de théâtre de Bertolt Brecht La Vie de Galilée. La spécificité de ce document est de contenir une reproduction en carton de l’astrolabe, avec un disque et une aiguille amovibles.
Exposition numérique créée par Thomas Lorson
Avec l’aide de Caroline Taillez et Édouard Neidenberger
Remerciements à Jean Celeyrette