Neurolinguistique et pathologie du langage
Les projets réunis dans ce volet s’inscrivent dans une perspective neurolinguistique qui se focalise sur différents aspects acquisitionnels (par ex. le rôle des interactions et des stimulations dans la mise en œuvre d’une intercompréhension) et typologiques (par ex. le rôle de la diversité linguistique d’un point de vue morphologique, syntaxique ou sémantique) en cas de trouble acquis ou développemental (dysfonctionnements sous-jacents, organisation et réorganisation fonctionnelle, émergence de stratégies compensatoires/palliatives à l’oral ou à l’écrit).
Bert Cappelle, en collaboration avec l’Université Libre de Berlin, Brain Language Laboratory, Friedemann Pulvermüller (coordinateur), Jeff Hanna, Luigi Grisoni, Guiglelmo Lucchese, Adele Goldberg (Princeton) et Yury Shtyrov (Aarhus), dans leur Projet « Fixed vs. combinatorial constructions: a biolinguistic perspective on combinatorial schemas and the lexicon », s’interroge, d’un point de vue neurolinguistique, sur les constructions de plusieurs degrés de flexibilité et d’opacité sémantique, en particulier sur les verbes à particules et les mots dérivationnellement complexes. Les résultats sont appliqués au développement de nouvelles idées sur la représentation linguistique de ces constructions qui fait référence aux bases neuro-mécanistiques sous-jacantes.
Le projet de Gerhard Schaden et d’Efstathia Soroli sur la distinction massique-comptable vise aussi à déterminer si et à quel degré la diversité typologique des langues dans ce domaine joue un rôle sur la construction des représentations de ces notions chez les sujets autistes. Une théorie affirme que les comptables prototypiques dénotent des "totalités intégrées". Or, les troubles du spectre autistique sont souvent associés à un style cognitif particulier (appelé "cohérence centrale faible"), caractérisé par une focalisation excessive sur les détails, au point de perdre de vue le contexte global. L'étude vise à déterminer si et à quel degré i) la cohérence centrale faible chez ces sujets interfère avec la conceptualisation des totalités intégrées, et s'il s'ensuit une différence linguistique dans le domaine des massiques et comptables; et ii) dans quelle mesure des systèmes linguistiques différents dans le marquage des noms (par ex., déterminants, classifieurs) y jouent un rôle. Ce projet interagie avec l'étude plus formelle entreprise par Gerhard Schaden sur les massiques et les comptables (voir Interprétation) ainsi qu’avec le projet de Antonio Balvet (collaboration avec Efstathia Soroli et Thi-Mai Tran) sur la constitution de ressources linguistiques (lexiques électroniques, règles symboliques et/ou modèles statistiques d'analyse, corpus annotés) basée sur cette problématique liée à l’autisme (voir aussi la thématique Application).
Une partie des recherches d’Emmanuelle Canut concerne l’étude comparative de l’enfant au développement normal et pathologique, et en particulier porte sur le rôle des interactions langagières dans la mise en œuvre d’une intercompréhension entre enseignant et enfant atteint d’une pathologie et l’effet d’une stimulation langagière. Ce travail se réalise en collaboration avec C. Bocéréan, C. Masson (Université de Lorraine) et M. Leroy-Colombel (Université Paris Descartes) dans le cadre du projet financé par la MSH de Lorraine CORPECS « CORPus Emergence de la Communication chez l’enfant et Stratégies d’étayage de l’adulte : apports et limites des systèmes de communication augmentative chez des enfants avec troubles du langage ». Il s’agit d’une étude longitudinale et multimodale des interactions adulte/enfant en situation de handicap dans le cadre d’un programme de communication augmentée.
Thi Mai Tran et Natalia Grabar en collaboration avec Loris Tamara Schiaratura (Laboratoire PSITEC, Lille 3) travaillent sur la communication verbale et non verbale dans la maladie d’Alzheimer dans une approche intégrative et fonctionnelle. Les troubles du langage font partie du tableau clinique de la maladie d’Alzheimer. Associés aux autres troubles cognitifs et comportementaux de la maladie, ceux-ci sont responsables de troubles de la communication et de la relation. Ce projet compare les performances en communication verbale et non verbale de patients atteints de cette maladie et les corpus recueillis en situation conversationnelle sont analysés d’un point de vue linguistique et non verbal (en particulier gestuel). L’analyse conjointe vise à décrire les interactions existant entre ces deux modes de communication et les compensations qui pourraient être envisagées dans le cadre clinique. Cette recherche interagit avec le projet de Thi Mai Tran DTL-V « Dépistage des Troubles du Langage dans le Vieillissement » réunissant 4 universités francophones (Lille, Mons en Belgique, Laval à Québec, Neuchâtel et Lausanne en Suisse) qui vise à développer un outil de dépistage des troubles du langage utilisable dans le cadre des consultations mémoires afin de repérer précocement les tableaux cliniques dans les pathologies neurodégénératives où les troubles du langage sont présents (maladie d'Alzheimer) ou prédominants (Aphasies Primaires Progressives, Démence Sémantique). Le but est que cet outil contribue à une meilleure orientation et prise en charge de ces troubles et permette, par l'utilisation d'outils communs, une mise en commun des données en langue française afin de mieux décrire et comprendre les pathologies du langage neurodégénératives rares.
Efstathia Soroli, dont les travaux s’inscrivent à l'interface langage-cognition, s’intéresse à l’impact que les propriétés typologiques des langues peuvent avoir sur différents troubles du langage, acquis (agrammatisme, anomie) ou développementaux (dyslexie), notamment en termes de stratégies compensatoires. En collaboration avec Thi Mai Tran, Maya Hickmann (CNRS & Université de Paris 8), Valantis Fyndanis (Université de Oslo) et Halima Sahraoui (Université de Toulouse) elle utilise une méthode expérimentale comparée pour étudier autant les aspects fondamentaux du trouble langagier (dysfonctionnement acquis ou développemental sous‐jacent) que les aspects de compensation (plasticité et réorganisation fonctionnelle, émergence de stratégies d’adaptation/compensatoires etc.) en évaluant les stratégies spontanées ou induites (liées à la pathologie) et spécifiques aux propriétés linguistiques des locuteurs (anglais, français et grecs) avec agrammatisme, anomie ou dyslexie. Ce travail interagit avec le projet ATypIc « Aphasie, Typologie et Interaction virtuelle » dans le cadre duquel Efstathia Soroli développe un logiciel spécialisé et adapté aux besoins du patient cérébrolésé (par ex. suite à une lésion de l’aire de Broca qui touche le versant expression et s’accompagne presque toujours d’une paralysie du côté droit), logiciel qui permettra à ce type de patients de commander par le mouvement des yeux, en utilisant un eyetracker, des appareils du quotidien (téléphone portable/tablette) afin de faciliter la communication et les interactions avec son entourage. Efstathia Soroli participe également au projet européen CATs « Collaboration of Aphasia Trialists » coordonné par Marian Brady (Université de Glasgow Caledonian) et financé par la « European Cooperation in Science and Technology ». Ce projet, qui rassemble des équipes de chercheurs en Allemagne, Pays-Bas, France, Italie, Espagne, Royaume-Uni, Grèce, Lettonie, Finlande, Danemark, Malte, Chypre, se focalise sur les aspects fondamentaux en aphasie (dysfonctionnements sous-jacents et difficultés liées à la typologie des différentes langues européennes) et vise à créer des outils communs pour le diagnostique et la rééducation des personnes avec aphasie en Europe tout en adaptant ses outils à la réalité des patients et aux propriétés de leur langue.