Journée d'étude : "Des Platonismes en Phénoménologie. Interprétations, appropriations, distorsions"

Journée d'études
Maison de la Recherche, Université de Lille - Domaine du Pont de Bois

Responsables : Claudio Majolino ; Emanuele Mariani ; Alain Lernould ; Edouard Mehl.

Dans les trente dernières années, les rapports de la phénoménologie, dans ses nombreuses formes, à l’histoire de longue durée de l’aristotélisme ont fait l’objet de nombreuses études, notamment en France et dans le monde anglophone. La question de l’être, de l’intentionnalité et du monde, des thèmes chers à la phénoménologie comme le catégoriel, l’imaginaire ou le politique ont notamment été examinés dans leurs rapports avec les textes-source d’Aristote et leurs relectures, anciennes et médiévales. Or, il en va tout à fait autrement du lien, pourtant étroit, qui noue la tradition phénoménologie aux différentes formes de platonisme qui ont traversé l’histoire de la philosophie occidentale. De l’idée husserlienne d’un Platon « père de toute science rigoureuse », fondée sur une certaine lecture de la République (Hua XXV, 53), au Patočka de Platon et l’Europe, centré sur le « souci de l’âme » (τῆς ψυχῆς ἐπιμελεῖσθαι) (Alc. 130, c 5-6) ; du célèbre propos de Heidegger, selon lequel « toute philosophie occidentale est un platonisme » (Nietszche, t. II), aux références, nombreuses et insistantes, de Lévinas à l’égard du Phèdre ; mais, aussi, du silence assourdissant de Sartre, Merleau-Ponty et Michel Henry, qui (du moins apparemment) semblent faire l’impasse sur l’héritage de Platon, à l’obsession véritable d’Eugen Fink vis-à-vis de l’ontologie platonicienne de l’image, tant dans ses études sur l’irréel et le jeu que dans ses recherches sur la παιδεία—la phénoménologie n’a pas cessé de multiplier ses lectures de Platon et ses variantes de « platonisme » d’une manière qui demande encore à être explorée.

PROGRAMME

vendredi 28 septembre

APRES MIDI


Président : Alain Lernould (UMR STL 8163)


14h00-15h15

Qu’est-ce que l’âme chez Platon ? La lecture phénoménologique de Jan Patočka

Filip Karfík (Universität Freiburg)


Les interprétations de la pensée de Platon par Jan Patočka remontent aux années 1930, ils ont connu une première élaboration à grande échelle dans ses cours de la fin des années 1940 et une reprise approfondie dans la première moitié des années 1970. C’est surtout dans cette dernière période que Patočka a développé une interprétation délibérément phénoménologique de la conception platonicienne de l’âme dans son rapport aux différents types de phénomènes, conçus à leur tour comme différents modes de manifestation de l’être. Ce faisant, Patočka met l’accent sur le fait que l’âme chez Platon décide elle-même de la manière dont l’être se manifeste à elle. C’est à partir de là qu’il interprète d’abord le thème socratico-platonicien du souci de l’âme (epimeleia tês psychês), ensuite la définition de l’âme en tant que ce qui se meut par soi-même (to auto heauto kinoun), enfin l’ensemble de la philosophie de Platon sur l’arrière-plan d’une conception originelle de la naissance de la philosophie en Grèce.


15h15-15h30

Pause-café


15h30-16h45

Sylvain Roux, titre à préciser


…..


16h45-17h

Pause-café


17h-18h15

Heidegger interprète de Platon. Approche phénoménologique et problème de la vérité

Francesco Fronterotta (Università degli studi di Roma, La Sapienza)


Dans cette communication je me propose d’examiner l’approche de Heidegger à la conception platonicienne de la vérité, en prenant comme point de départ le cours sur le Sophiste donné à Marbourg en 1924-1925, puis sur le mythe de la caverne dans le livre VII de la République et sur le Théétète en 1931-1932, et en considérant pour finir l’écrit que Heidegger a consacré à La doctrine platonicienne de la vérité en 1940. J’essaierai de retracer schématiquement et dans ses grandes lignes le déplacement de la notion d’λήθεια du plan du « dévoilement » à celui du λόγος qui se produit, selon Heidegger, chez Platon, qui finit par s’éloigner de l’originaire conception grecque de la vérité pour l’identifier avec l’exactitude de la proposition.


20h DINER


Samedi 29 septembre


Président : Emanuele Mariani (Universidade de Lisboa/UMR STL 8163)


9h-10h15

Tous les platonismes de Husserl (ou presque)

Claudio Majolino (Université de Lille/UMR CNRS 8163)


La question du « platonisme » de Husserl est souvent abordée, presque exclusivement, en rapport avec la théorie des objets idéaux des Recherches logiques. Théorie qu’Husserl lui-même rattache d’ailleurs, d’une manière tout à fait explicite, à l’interprétation de la doctrine platonicienne des idées proposée par Lotze. Husserl cependant n’en reste pas là et, à regarder les choses de près, le tableau s’avère bien plus complexe. A partir du début des années 1910 (à l’époque de la rédaction des Ideen I) Husserl approfondit en effet la lecture des dialogues de Platon et lit les Ennéades de Plotin. Quelques années plus tard, dans ses cours fribourgeois, il élaborera une conception de l’histoire de la philosophie très articulée où l’idée d’une « impulsion platonicienne » devient tout à fait centrale. Ainsi, dans cette phase de la réflexion de Husserl, le nom de Platon n’est plus simplement évoqué en lien avec l’ontologie des objets idéaux ; il apparaît plutôt dans le but de définir le sens et la tâche ultimes de la philosophie elle-même. Il y a enfin un troisième contexte où Husserl se confronte ouvertement avec l’héritage de Platon. C’est la thèse, formulée dans la Krisis, du passage du « platonisme où le réel avait une μέθεξις plus ou moins parfaite à l’idéal » à l’« idéalisation du réel lui-même » ; passage qui caractérise la constitution de la science moderne issue de la mathématisation galiléenne de la nature comme une « migration des formes platoniciennes dans la nature ».


10h15-10h30

Pause-café


10h30-11h45

Plotin dans la Kategorienlehre de Emil Lask

Riccardo Chiaradonna (Università Roma III)


Plotin n’a pas la position d’une référence philosophique pour la tradition phénoménologique. Une exception est sans aucun doute Emil Lask. Son ouvrage La logique de la philosophie et la doctrine des catégories (1911) s’ouvre par une citation du traité VI, 1, 1 Sur le genres de l’être de Plotin et Plotin joue un rôle fondamental dans l’aperçu historico-philosophique de Lask: « Pour la première fois, Plotin oriente la méditation logique sur la domination que le logique exerce sur le suprasensible » (trad. fr., p. 236). Pour Lask, donc, Plotin se situe au centre de la pensée sur les catégories. Cette contribution vise à situer la lecture de Lask dans le cadre plus général de la réception de Plotin dans l’Allemagne à la fin du XIXème siècle (Zeller, Prantl, von Hartmann). Nous visons aussi à élucider la signification philosophique de la lecture de Plotin par Lask, ainsi que son influence (notamment sur la pensé de Martin Heidegger).


11h45-12h00

pause café


12h00-13h15

La Transcendance de l’Agathon dans les années 1920-1930

Edouard Mehl (Université de Lille/UMR CNRS 8163)


L’exposé portera sur une critique que Gerhard Krüger (Einsicht und Leidenschaft. Das Wesen des platonischen Denkens, 1939) adresse à la conception heideggerienne de la transcendance de l’Agathon dans l’essai Vom Wesen des Grundes (1929). Krüger a noté l’importance du geste, très ramassé, par lequel Heidegger substitue la transcendance du Dasein à l’intentionalité husserlienne, comme constituant la structure même de la subjectivité (« Transcendenz ist Grundstruktur der Subjektivität »). Du simple point de vue des textes, le mérite de la lecture krügerienne est de faire apparaître, en filigrane du texte de République VI (509b), auquel se réfère explicitement Heidegger, un autre lieu platonicien, celui du Philèbe (65a), sur lequel les travaux de Gadamer avaient attiré l’attention, mais auquel Heidegger ne fait référence que de manière allusive. Cette discussion pointue, locale, et partiellement elliptique, a en fait un enjeu beaucoup plus global, celui de la possibilité d’une théologie — non la thé(i)ologie métaphysique de l’ontologie scolaire, mais une théologie malgré tout appuyée sur ce qu’il y a de proprement « ontologique » dans le Dasein : la transcendance. A cela, Krüger objecte une enorma dubitandi ratio, à laquelle il faudra réfléchir : il se pourrait que le Dasein ne soit pas ontologique par lui-même, et que ce défaut rende la théologie non seulement possible, mais, plus encore, nécessaire.


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