Séminaire " Écrits de musiciens, un regard philosophique " (Sarah Troche et Bernard Sève)

Séminaire
STL Salle Corbin B1.661 Université de Lille - Domaine du Pont de Bois

Maud Pouradier

Université de Caen Normandie

Identité et Subjectivité EA 21/29

 

« La philosophie de la musique d’Olivier Messiaen

dans le Traité de rythme, de couleur et d’ornithologie »

 

Le Traité de rythme, lors de la parution posthume des derniers volumes, déçut les musicologues et historiens de la musique qui n’étaient pas des disciples d’Olivier Messiaen : vision datée de la musique médiévale, tome long et fastidieux sur le chant des oiseaux, présentation incomplète de la rythmique grecque et hindoue, etc. Selon ces critiques, le contenu du Traité de rythme est scientifiquement daté, y compris si l’on prend en considération sa date de rédaction. Les fameuses analyses de Pelléas et Mélisande, qu’on venait tout exprès entendre au Conservatoire, ont également laissé sur leur faim les spécialistes de Debussy qui n’avaient pas été élèves du maître : analyses harmoniques et rythmiques contestables, utilisation anachronique des neumes pour comprendre une ligne mélodique, etc. Je voudrais soutenir que la philosophie de la musique d’Olivier Messiaen explique et donne un relief nouveau aux imperfections historiques, musicologiques et ethnomusicologiques du Traité de rythme.

Olivier Messiaen cite souvent des écrits philosophiques, et prend volontiers la posture de philosophe de la musique, voire de métaphysicien et de théologien. L’usage que Messiaen fait des écrits philosophiques, en particulier médiévaux, est toutefois critiquable sous le froid regard de l’historien de la philosophie. Comment penser qu’on puisse être sérieusement philosophe tout en faisant un usage à nos yeux si peu sérieux de la philosophie ?

S’il y a des références philosophiques dans les écrits d’Olivier Messiaen, ce n’est en réalité pas à ce titre qu’il est véritablement philosophe de la musique. Sans le présenter explicitement ou le développer en tant que tel, un philosophème anime l’œuvre et les écrits d’Olivier Messiaen : la musique est une créature naturelle. Sous le fatras thomiste, Olivier Messiaen est sans doute plus proche théoriquement des débats du xviiie siècle autour du statut ontique de la musique, que du grand génie dominicain du xiiie siècle. Cette thèse d’Olivier Messiaen lui permet, de manière tout à fait originale au cœur du xxe siècle, de proposer une véritable philosophie de la musique, détachable de son contexte historique et auctorial. Mais paradoxalement, ce philosophème clairement identifiable est aussi ce qui éloigne le plus les écrits d’Olivier Messiaen d’un statut philosophique acceptable scientifiquement, tant sur le plan épistémologique qu’éthique. En effet, la thèse d’un caractère créaturel de la musique n’est elle-même pas détachable d’une théologie ancrée dans une foi personnelle que le compositeur ne cache pas, présente loyalement, et qui est au cœur de son œuvre.


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